EntrĂ©es dâindex Haut de page Texte intĂ©gral 1 Lydie Parisse, Lagarce, Un théùtre entre prĂ©sence et absence, Classiques Garnier, 2014. Voir le co ... 1Je souhaite ici esquisser quelques pistes de ce que lâon pourrait nommer une hermĂ©neutique de lâĂ©criture de Lagarce, ces pistes ayant Ă©tĂ© plus largement exploitĂ©es dans la rĂ©cente monographie que jâai publiĂ©e Lagarce. Un théùtre entre prĂ©sence et absence1. Jâaimerais confronter le film de Xavier Dolan au texte de Juste la fin du monde en ouvrant cet article sur une Ă©tude de lexique que lâexamen de lâarchive en ligne sur le site fanum pourrait permettre de concrĂ©tiser Ă lâavenir. 2 MâintĂ©ressant aux dramaturgies de la parole, je mĂšne ce type dâapproches Ă propos de lâĂ©criture de ... 2Ma premiĂšre constatation est que ce film, sâil ne respecte pas Ă la lettre le texte et la langue de Lagarce, restitue en revanche lâesprit de la piĂšce et entre en rĂ©sonance avec la lecture que jâavais pu en dĂ©gager lorsque jâai publiĂ© mon ouvrage sur lâĆuvre de Lagarce, dont le sujet principal est lâĂ©tude des figures de la perte de soi dans lâensemble de son théùtre, dans son journal et ses autres Ă©crits, et oĂč jâinsiste sur lâobservation du processus de lâĂ©criture, tel quâil est dĂ©crit par lâauteur lui-mĂȘme, Ă savoir que lâĂ©criture est pratique permanente de la réécriture Ă la fois intra- et intertextuelle, et que la réécriture est une mise en scĂšne de lâĂ©criture elle-mĂȘme. Ma dĂ©marche sâapparente au courant de la gĂ©nĂ©tique textuelle et de la gĂ©nĂ©tique théùtrale, par le biais de lâanalyse des processus2. 3 Dans mon ouvrage, je replace dâailleurs cette attitude dans la perspective plus vaste de la crise ... 3La langue de Lagarce est bien lĂ , du moins dans sa recherche obsessionnelle du mot juste, dans son bĂ©gaiement collectif rituel qui dit une non-coĂŻncidence du langage et de la pensĂ©e, une non coĂŻncidence des mots et des corps, une non-coĂŻncidence de soi Ă soi. Câest dans ce dĂ©ficit Ă la fois linguistique et ontologique que sâinstallent les personnages de Lagarce, dans une polyphonie apparente, mais qui nâen est pas une, puisquâune seule voix les traverse tous, dans une sorte dâidentitĂ© transpersonnelle. RhĂ©torique de lâincertitude, tremblement du dire et tremblement de lâĂȘtre, plĂ©thore des modalisateurs, abus de lâĂ©panorthose, usage de lâapproximation, telles sont les attitudes dâĂ©criture dâun auteur qui pratique la culture du doute et le choix de lâhĂ©sitation, entendus comme un art poĂ©tique, mais aussi comme un acte de rĂ©sistance aux certitudes assĂ©nĂ©es par les discours totalitaires â je ne vais pas insister sur ces lieux communs de la critique lagarcienne3. 4Ce que le film met particuliĂšrement en relief, câest Ă quel point le dispositif de la piĂšce est placĂ© sous le signe de la perte, de la dĂ©perdition, qui marque la relation Ă lâĂ©criture, aux autres, au monde. Le sentiment de la perte est liĂ© au dĂ©sir impĂ©rieux de retrouver le mot juste, la relation juste, le regard juste. Nous envisagerons ici les deux derniers aspects, Ă travers les leitmotivs lagarciens du sacrifice et de lâabandon. Le sacrifice 4 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, Besançon, Les Solitaires intempestifs, Classiques conte ... 5Ce que le film de Xavier Dolan rĂ©vĂšle, dans un langage et un lyrisme qui lui sont personnels, câest la violence archaĂŻque qui sous-tend les relations entre les personnages. Transformer la mort en sacrifice, tel est le programme annoncĂ© dans les monologues de Juste la fin du monde. Et ce rituel est consenti par la victime La mort aussi elle est ma dĂ©cision / et mourir vous abĂźme et câest vous abĂźmer que je veux. [âŠ] je me sacrifie4. » 5 RenĂ© Girard, Le Bouc Ă©missaire, Paris, Grasset & Fasquelle, 1982. 6 Voir Lydie Parisse, Lagarce. Un théùtre entre prĂ©sence et absence, op. cit., p. 116-120. 6Louis, que ce soit de maniĂšre effective ou mĂ©taphorique, accumule les signes victimaires tels que les Ă©numĂšre RenĂ© Girard dans Le Bouc Ă©missaire 5 parricide, inceste, homosexualitĂ©, hubris sont les attributs principaux de la victime rituelle. Renvoyant Ă mon ouvrage pour lâanalyse des premiers6, je nâĂ©voquerai que le dernier, lâhubris, le plus important par rapport Ă notre propos â la mythologie de lâĂ©criture â car elle renvoie Ă la pratique de lâĂ©criture comme une activitĂ© transgressive 7 Jean-Luc Lagarce, Du Luxe et de lâimpuissance, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2008, p. 40. Ătre dans la CitĂ©, au milieu des autres, avoir le droit immense de pouvoir parler, ĂȘtre responsable de cet orgueil, ĂȘtre conscient de ma force7. 8 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 28. 9 Jean-Luc Lagarce, Le Pays lointain, in Théùtre complet, tome iv, p. 340. 10 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 58 et Le Pays lointain, op. cit., p. 385. 11 Patrice Pavis, Le Théùtre contemporain. Analyse de textes de Sarraute Ă Vinaver, Paris, Nathan, Un ... 12 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 24 et Le Pays lointain, op. cit., p. 304. 13 JoĂ«l Jouanneau, dans Bertrand Chauvet et Ăric DuchĂątel dir., Juste la fin du monde. Nous les hĂ©r ... 7Cette affirmation de Lagarce, ce sentiment dâavoir franchi une limite â sociale, symbolique â est aussi ce qui servira Ă peindre la figure de Louis dans Juste la fin du monde et Le Pays lointain. Câest bien cet orgueil que lui reprochent les siens, qui le trouvent trop distant avec eux, telle Suzanne il nâembrasse jamais personne »8 ; Je pense que vous avez remarquĂ© aussi cela, ce caractĂšre, cette froideur de caractĂšre, [âŠ] il nâembrasse jamais personne, de sa propre initiative9 ». La mĂšre mĂȘme accable Louis, se moquant de son petit sourire et de cette façon si habile et dĂ©testable dâĂȘtre paisible en toutes circonstances »10. Dâailleurs, si dans Juste la fin du monde, personne ne comprend pourquoi Louis est revenu, dans Le Pays lointain, personne ne comprend non plus pourquoi il a quittĂ© le domicile familial il est vaguement question dâune dispute avec le pĂšre au moment de lâadolescence thĂ©matique qui sera reprise dans JâĂ©tais dans ma maison et jâattendais que la pluie vienne, mais ce qui subsiste, câest le sentiment quâil a fallu Ă Louis une dose importante dâorgueil pour partir. Selon Patrice Pavis, câest mĂȘme cette arrogance excessive quâil paierait de sa vie11. Enfin, selon JoĂ«l Jouanneau, mĂȘme le prologue tĂ©moigne de lâhubris du personnage ce souhait dâĂȘtre, jusquâĂ cette extrĂ©mitĂ© [s]on propre maĂźtre »12, montre la part dâorgueil de sa dĂ©marche13. Mais je ne partage pas cette derniĂšre interprĂ©tation, jây reviendrai. 14 Jean-Pierre Sarrazac, De la parabole du fils prodigue au drame-de-la-vie », Jean-Luc Lagarce dan ... 15 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 68. 8Dans Juste la fin du monde, le dispositif de circulation de la parole est celui dâun tribunal, comme lâa soulignĂ© Jean-Pierre Sarrazac14, et la place de Louis est bien celle de lâaccusĂ© face aux jurĂ©s. Un rĂŽle quâil assume dâailleurs totalement Je suis un Ă©tranger. Je me protĂšge. Jâai des mines de circonstance15. » 16 Ibid., p. 38. 9Louis est accusĂ© dâĂ©crire pour les autres, accusĂ© dâĂȘtre Ă©crivain mais de ne pas se servir de ce don » pour Ă©crire aux siens, auxquels il nâenvoie que des cartes postales banales et elliptiques », pas mĂȘmes cachetĂ©es et donc visibles par tous. Tu ne nous en donnes pas la preuve, tu ne nous en juges pas dignes. Câest pour les autres16 », lui reproche sa sĆur. 17 Ibid., p. 72. 18 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 37 et Le Pays lointain, op. cit., p. 358. 10Louis est accusĂ© de mentir, de dĂ©former la rĂ©alitĂ©. LâĂ©crivain est le rhapsode, celui qui met en rĂ©cit â en histoires ». Du langage il fait un usage inhabituel il dĂ©forme, il trahit, il triche avec la rĂ©alitĂ©, quâil arrange Ă sa guise, et cette aptitude Ă la tricherie est perçue comme une diffĂ©rence menaçante, une faute, comme lâexprime Antoine Tu vas commencer Ă me raconter des histoires, je vais me perdre [âŠ] peu Ă peu tu vas me noyer17. » LâhabiletĂ©, la ruse sont donc lâapanage de Louis aux yeux de ses frĂšre et sĆur je pense que tu es un homme habile, un homme quâon pourrait qualifier dâhabile, un homme plein dâune certaine habiletĂ© »18, constate Suzanne. 19 Jean-Luc Lagarce, Histoire dâamour repĂ©rages, in Théùtre complet, tome ii, Besançon, Les Solitai ... 20 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 74. 11Louis est accusĂ© dâinstrumentaliser ses proches. La relation de lâĂ©crivain avec ses proches est forcĂ©ment source de conflits car les rĂ©cits sont aussi mis en rĂ©cit mĂȘme si câest esquivĂ© de la vie privĂ©e, et les proches inspirent toujours, Ă un moment ou Ă un autre, des personnages. DâoĂč leur rĂ©sistance Ă entrer dans le rĂ©cit dans Histoire dâamour. RepĂ©rage, le DeuxiĂšme Homme et les Femmes sont surpris de la transposition de leur image, mais finalement ils trouvent lâhistoire fictive plus vraie, plus crĂ©dible que la rĂ©elle19. Dans Juste la fin du monde en revanche, Antoine se rĂ©volte, rĂ©siste Ă lâemprise de la fiction, ces histoires pour rien, des histoires, je ne comprends rien »20. Câest pour ne pas alimenter les rĂ©cits de Louis quâil sâinterdit de parler, mais quand sa parole Ă©clate enfin, elle est celle dâun hĂ©ros tragique. 21 Jean-Luc Lagarce, Journal, 1990-1995, tome ii, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2008, ... 22 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 70. 23 Jean-Luc Lagarce, Journal, 1977-1990, tome i, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2007, p. 376. 12Enfin et surtout, Louis est accusĂ© de nâavoir pas assez aimĂ©. On parle donc de lâaccusĂ© Ă la troisiĂšme personne. On ne sâadresse pas directement Ă lui, comme sâil nâĂ©tait pas lĂ . Ce sentiment de disparaĂźtre en prĂ©sence dâautrui, de ne plus ĂȘtre vraiment lĂ , Lagarce lâa maintes fois exprimĂ© dans son Journal21. Câest aussi ce qui marque le changement de regard quâil porte sur le monde depuis la rĂ©vĂ©lation de sa sĂ©ropositivitĂ© â mais aussi avant cet Ă©vĂ©nement. Dans Juste la fin du monde, Louis note Chaque lieu, mĂȘme le plus laid ou le plus idiot, je veux noter que je le vois pour la derniĂšre fois »22. Regarder les choses comme si tout Ă©tait la derniĂšre fois »23, telle sera la perspective que retiendront les spectateurs du Journal vidĂ©o. 24 Jean-Luc Lagarce, JâĂ©tais dans ma maison et jâattendais que la pluie vienne, in Théùtre complet, t ... 25 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 30. 26 Jean-Luc Lagarce, Le Pays lointain, op. cit., p. 405. 27 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 26. 28 Jean-Luc Lagarce, Le Pays lointain, op. cit., p. 364. 13Le procĂšs se traduit par une violence de lâaccusation, qui elle-mĂȘme traduit une violence sur le plan Ă©thique. Et ceci se fit dans la violence, des mots violents, juste des mots et rien dâautre24 », dit la MĂšre Ă propos du fils chassĂ© par le pĂšre dans JâĂ©tais dans ma maison et jâattendais que la pluie vienne, une piĂšce qui propose une variante de la figure du fils en parabole du fils prodigue. Dans les piĂšces de Lagarce, la violence est dâabord un phĂ©nomĂšne de langage, qui prend toute sa place dans une dramaturgie de la parole, mais elle est aussi un phĂ©nomĂšne Ă©thique, liĂ© Ă lâincapacitĂ© existentielle des personnages Ă prendre en compte la dimension de lâAutre, sans cesse ramenĂ© Ă la sphĂšre du MĂȘme, au sens oĂč lâentend Levinas. Câest bien de cette violence-lĂ que Louis est victime rĂ©duit Ă une existence thĂ©orique, empĂȘchĂ© â sauf par Catherine â de sâexprimer en son propre nom, instrumentalisĂ© par sa mĂšre qui lui demande de rassurer les siens, il ne peut accĂ©der Ă une existence sĂ©parĂ©e quâĂ travers une relation biaisĂ©e lâapartĂ© au public dans les monologues. En dehors de cette adresse indirecte, il est rĂ©duit au mutisme et Ă une identitĂ© tronquĂ©e, Ă travers le portrait faussĂ© que sa fratrie donne Ă voir de lui, rompant, par leurs jugements, la continuitĂ© de sa personne Louis ne parle pas en son nom propre. Selon Levinas, le discours de la totalitĂ© est affirmation absolue dâune subjectivitĂ© qui sâĂ©rige en juge, dâoĂč lâabondance des jugements de valeur qui visent Ă rĂ©duire lâautre, Ă lâinstrumentaliser dans le discours du MĂȘme. Dans Juste la fin du monde, Catherine sâinsurge contre cette habitude selon laquelle un nouveau-nĂ© doit absolument ressembler Ă ses parents, et elle dĂ©fend lâidĂ©e que son enfant ne ressemble Ă personne »25, Ă©chappant Ă cette logique du scandale de lâaltĂ©ritĂ© qui fait du langage familial une vĂ©ritable machine de guerre propre Ă nier les diffĂ©rences, voire Ă les rĂ©duire, ou Ă exclure lâindividu diffĂ©rent. En revanche, Antoine, dans Juste la fin du monde et Le Pays lointain, est dans la logique du MĂȘme Vous ĂȘtes semblables, lui et toi, et moi aussi, je suis comme vous »26, dit-il Ă sa sĆur pour la consoler. Suzanne aussi ne veut voir en Louis que quelquâun qui ne change pas »27. Les personnages se crĂ©ent leurs propres enfermements, leurs propres citadelles comme lâĂ©voque littĂ©ralement le titre de la piĂšce qui annonce Juste la fin du monde Retour Ă la Citadelle. Suzanne pense quâelle nâest pas une vraie personne », nâayant jamais eu un chez soi » hors de la maison familiale si je ne pars pas, jamais, je ne serai jamais une vraie personne, juste une enfant. Câest de cela que jâai peur »28, confie-t-elle Ă Louis. 29 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 78. 30 Ibid., p. 76. 31 Denis GuĂnoun, HomosexualitĂ© transcendantale », dans Regards lointains, Besançon, Les Solitaires ... 14La violence Ă©thique est liĂ©e au scandale de lâaltĂ©ritĂ©, au discours de la totalitĂ©, au refus de prendre en compte une existence sĂ©parĂ©e, mais elle est aussi le corollaire de la peur, ce que rend trĂšs bien le film de Xavier Dolan. Tous ont peur Suzanne a peur, Antoine a peur, Louis a peur. Tu voudras me parler / et il faudra que je tâĂ©coute / et je nâai pas envie dâĂ©couter. Je ne veux pas. Jâai peur29 », avoue Antoine. Parlant au nom dâun on » ou dâun tu », ne disant jamais je », Antoine sâinsurge Tu crois me connaĂźtre mais tu ne me connais pas, / tu me connaitrais parce que je suis ton frĂšre30 ? » Ce renversement de la violence mimĂ©tique constitue lâacmĂ© de la piĂšce, mais aussi un moment paradoxal que Denis GuĂ©noun a appelĂ© lâĂ©lĂ©vation dâAntoine »31. 32 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 92. 15Câest que, par un coup de théùtre, Antoine endosse dans la derniĂšre partie de la piĂšce la figure de lâaltĂ©ritĂ©, se constituant lui-mĂȘme en bouc-Ă©missaire. Et lĂ , maintenant vous ĂȘtes lĂ , Ă me regarder comme une bĂȘte curieuse32 » Toute la piĂšce Ă©tait une fausse piste malgrĂ© les apparences, Louis nâĂ©tait pas un bouc Ă©missaire ? Qui Ă©tait-il alors ? La posture du bouc Ă©missaire est-elle si enviable ? Tout se passe comme si Louis, rĂ©duit au silence, se trouvait paradoxalement dans une position de supĂ©rioritĂ© dans la violence rituelle, la victime est en effet sacralisĂ©e. Si la parole de Louis nâa pu ĂȘtre entendue parce quâelle aurait eu lâimpact dâun cri dans un tunnel vide et ne pouvait quâĂȘtre une parole de la perte, en revanche, son silence a Ă©tĂ© entendu, et câest lĂ , sans doute, toute la force du film de Dolan dâavoir pu filmer en gros plan les visages, car le visage, selon Levinas, est le lieu de la relation juste, celle du face-Ă -face avec lâautre. Lâabandon 16LâĂ©criture de Lagarce dĂ©veloppe plusieurs stratĂ©gies dâĂ©vitement de la violence et donc du tragique qui est, au sens Ă©tymologique, contamination de la violence rituelle ; nâoublions pas que la tragĂ©die est issue du bouc â tragos â que lâon sacrifie. 33 CitĂ© par Marie-HĂ©lĂšne Boblet, Ăcriture et souci de soi », Jean-Luc Lagarce, Europe, n° 969-970, ... 34 Suzanne parle dâ une certaine forme dâadmiration » Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. ... 17La premiĂšre consiste Ă faire du protagoniste principal une figure de revenant. La force, sans doute, du casting du film de Dolan, câest dâavoir fait de Louis moins un mourant quâun revenant. Louis nâa pas le mĂȘme degrĂ© de prĂ©sence scĂ©nique que les autres personnages, il est une sorte de prĂ©sent-absent, mais sâil est ainsi perçu, câest Ă travers la folie collective des autres personnages, qui, le privant de sa parole, le dĂ©rĂ©alisent, le dĂ©personnalisent, en font une figure sans doute sacrificielle, mais aussi messianique. Sur le plan de la conscience, Louis est dĂ©jĂ dâoutre-monde, il a basculĂ© dans une perception oĂč manque le lointain. Une des choses les plus mĂ©lancoliques dans le rapprochement de la mort la perte du lointain », Ă©crit HervĂ© Guibert dans Le MausolĂ©e des Amants33. Mais dans la piĂšce, tout se passe comme si le fait de se trouver confrontĂ© au dĂ©finitif la sĂ©paration, la derniĂšre fois, la mort nâĂ©tait plus seulement lâaffaire de Louis, mais celle des autres. La hantise dâune nouvelle sĂ©paration les plonge en effet dans des accĂšs de colĂšre et de dĂ©sespoir trĂšs bien rendus par le film de Dolan. Dans Juste la fin du monde, Louis est prĂ©sentĂ© comme une sorte de revenant, de ressuscitĂ© qui vient brusquement rĂ©vĂ©ler aux siens leur vrai contexte existentiel le manque dâamour. DâoĂč le sentiment de sidĂ©ration, fait de trouble et dâadmiration34, qui accompagne son apparition au seuil de la maison familiale. Quant Ă la mĂšre, tentant de redonner Ă Louis sa place symbolique dâaĂźnĂ© que Louis refuse dans le film de Dolan, lui explique quâil est revenu pour combler les manques existentiels de son frĂšre et de sa sĆur et leur donner lâautorisation de devenir enfin eux-mĂȘmes 35 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 58-59. Suzanne voudrait partir [âŠ]. Lui, Antoine, il voudrait plus de libertĂ©, je ne sais pas [âŠ]. Et câest Ă toi quâils veulent demander cela, câest Ă toi quâils semblent vouloir demander lâautorisation35. 18Or, ce quâAntoine et Suzanne ne peuvent admettre, câest justement admettre, câest lâabandon au nom de leur refus de se perdre, ils sâarc-boutent contre le frĂšre, se campent dans leurs certitudes, et sombrent dans le tragique, ce tragique contre lequel, justement, Louis lutte, tentant sans cesse dâapporter la consolation, se faisant insulter en retour 36 Ibid., p. 93. Louis. â Ne pleure â Tu me touches, je te tue36. 19Si Antoine est prĂšs de frapper son frĂšre, câest quâen lui-mĂȘme, contre son grĂ©, quelque chose a Ă©tĂ© atteint. Le conflit extĂ©rieur cache un conflit interne â qui est aussi la caractĂ©ristique des hĂ©ros tragiques. Ce rejet nâest pas de haine, il est la forme paradoxale dâun amour refoulĂ©, dâune rĂ©sistance qui se brise, dâun conflit intĂ©rieur qui trouve sa rĂ©solution en prenant la forme chaotique dâune conversion, dâune mĂ©tanoĂŻa opĂ©rĂ©e par la simple prĂ©sence, silencieuse, de Louis. Ce moment de bascule est la consĂ©quence de la prĂ©sence nĂ©gative de Louis parmi les siens, qui fait de lui une crĂ©ature dâun autre monde, une sorte de figure de la rĂ©surrection. Avec le personnage de Louis, Lagarce met en Ćuvre le motif du retour parmi les vivants, qui nous renvoie Ă la Bible comme Ă la lĂ©gende orphique 37 Jean-Luc Lagarce, Je ferai ça quand je reviendrai », dans Connaissez-vous Jean-Luc Lagarce ?, Be ... admettre lâidĂ©e toute simple et trĂšs apaisante, trĂšs joyeuse, [âŠ] lâidĂ©e que je reviendrai, que jâaurai une autre vie aprĂšs celle-lĂ oĂč je serai le mĂȘme, oĂč jâaurai plus de charme, [âŠ] oĂč je serai un homme trĂšs libre et trĂšs heureux37. 38 Jean-Pierre Sarrazac, De la parabole du fils prodigue au drame-de-la-vie », dans Jean-Luc Lagarc ... 39 Jean-Luc Lagarce, Le Pays lointain, op. cit., p. 355. 40 Peter Handke, citĂ© par Georges Banu dans Peter Handke le théùtre de la langue », SupplĂ©ment TĂ© ... 41 Robert Musil, LâHomme sans qualitĂ©s, traduction Philippe Jaccottet, Paris, Gallimard, Folio, 1958. 42 Jean-Luc Lagarce, Le Pays lointain. PrĂ©sentation », dans Europe, op. cit., p. 158 et repris dans... 20La seconde stratĂ©gie dâĂ©vitement de la violence consiste Ă faire bifurquer le dispositif du tragique vers le Trauerspiel. Cette piĂšce, comme Le Pays lointain, sâapparente Ă un monodrame », selon Jean-Pierre Sarrazac38, Ă savoir quâelle propose un retour sur la vie dâun individu au moment de sa mort, une dramaturgie du salut, dans la lignĂ©e des mystĂšres mĂ©diĂ©vaux. Les tĂ©moins accompagnent le parcours du mourant, ils font le rĂ©cit de sa vie avant de lâenterrer. Ce dispositif dramaturgique Ă©tait dĂ©jĂ prĂ©sent dans Juste la fin du monde, mais il sâaccentuera dans Le Pays lointain, oĂč on assiste Ă la mise en rĂ©cit exhaustive de la vie dâun homme ordinaire, comme on le ferait dâun mort mais qui nâest pas encore mort dans le but de lâ immortaliser » ça vous immortalise »39, dit le pĂšre quand il prend des photos. Le Pays lointain, en enchĂąssant, sur le mode du contrepoint, la premiĂšre piĂšce dans un ensemble plus vaste, fait donc coexister les deux dispositifs, les confronte le dispositif violent le rituel du bouc Ă©missaire prĂ©sent dans Juste la fin du monde et le dispositif non-violent liĂ© notamment Ă lâattitude apaisĂ©e du pĂšre, dans Le Pays lointain. Dans les deux cas, le moteur est en la logique de la perte de soi. La problĂ©matique du tragique est toujours mise en tension dans lâunivers de Lagarce. Comme Peter Handke, quâil admire tant, Lagarce pourrait dire Je suis grec40 », tant il se nourrit aux lectures des Tragiques ; mais inversement, il puise dans une autre tradition, cherchant dans lâĂ©criture un exercice de dĂ©tachement qui propose une vraie alternative au tragique ce sont les tricheries », les arrangements », mais aussi le recours au Trauerspiel dans Juste la fin du monde et Le Pays lointain. Il est effet deux lignĂ©es dans le théùtre occidental le théùtre tragique, hĂ©ritĂ© des Grecs, et le théùtre non-tragique, ou prĂ©-tragique, hĂ©ritĂ© des mystĂšres mĂ©diĂ©vaux. Walter Benjamin, dans Essais sur Brecht, dĂ©finit le hĂ©ros non tragique comme lâhomme ordinaire, sans qualitĂ©s » ohne Eigenschaften », pour reprendre le titre du chef-dâĆuvre de Robert Musil41, comme le formule Louis dans Le Pays lointain, mais aussi Lagarce dans sa propre prĂ©sentation de la piĂšce Dâun seul homme, sans qualitĂ©, sans histoire, tous les autres hommes42 ». Cette volontĂ© de dĂ©contextualiser nous rappelle que lâabsence de qualitĂ© renvoie Ă lâabsence de prĂ©dicat, au refus de la prĂ©dication caractĂ©ristique des diverses traditions spirituelles, pour dĂ©signer le point de vue de lâabsolu, la recherche dâun regard de surplomb. 21Ce mode de lecture nous autorise Ă lire le personnage de Louis comme une figure de la perte, qui, par son aptitude au renoncement il renonce Ă son projet de dĂ©part, prĂ©fĂ©rant bafouiller des promesses de retour, par son aptitude Ă lâabandon Ă la fois actif et passif est un personnage entre deux mondes qui donne la mesure dâun monde. 43 Voir Jean-Pierre Sarrazac, De la parabole du fils prodigue au drame-de-la-vie », dans Jean-Luc L ... 44 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 23. 45 Jacques Le Brun, Le Pur amour de Platon Ă Lacan, Paris, Seuil, 2002, p. 44. 22Le renoncement est une pratique ascĂ©tique qui consiste Ă crucifier lâamour-propre et Ă©voque les dures lois de lâabnĂ©gation et de la pĂ©nitence. Lâhomme renoncĂ© est un personnage qui hante la littĂ©rature europĂ©enne, et qui, sur le plan théùtral, sâinscrit dans la tradition du Trauerspiel, dans lequel Walter Benjamin voit la cĂ©lĂ©bration de la Passion de lâhomme » ou encore le drame du martyr43 ». Les derniĂšres piĂšces de Lagarce consacrĂ©es au cycle du retour racontent ce parcours un homme meurt et cherche Ă donner Ă sa mort une justification, profitant de cette occasion du retour aux sources pour devenir son propre maĂźtre », câest-Ă -dire devenir libre. La dĂ©marche est dâemblĂ©e prĂ©sentĂ©e comme sans espĂ©rance sans espoir jamais de survivre »44, laissant entendre que le hĂ©ros a renoncĂ© aux idĂ©es de salut avant de prendre le chemin de la maison familiale. Louis est bien un martyr » au sens Ă©tymologique de tĂ©moin ». Câest bien le rĂŽle quâil va jouer dans sa famille il Ă©coutera les autres. De mĂȘme dans Le Pays lointain, il Ă©coute car câest lui qui sera au bout du compte sacrifiĂ©. Tout se passe comme si le martyr avait le pouvoir dâannuler la souffrance parce que lui-mĂȘme a entiĂšrement consenti Ă sa propre perte. Câest lĂ la logique sacrificielle violente qui prĂŽne la mort-pour45 », la mort utile. Mais il est une autre forme de perte, qui nâest pas rĂ©cupĂ©rable câest lâabandon, paradigme dont le lexique de Lagarce use et abuse, faisant de tous ses personnages des figures dâabandonnĂ©s. 46 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 51. 47 Jean-Luc Lagarce, Le Pays lointain, op. cit., p. 277. 48 Jean-Luc Lagarce, Journal vidĂ©o, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2007. 49 Annie Ernaux, Journal du dehors, nrf, Gallimard, 1993. 23Lâabandon est un Ă©tat Ă la fois passif et actif. Si dans sa famille, abandonner les siens est une faute, Louis a abandonnĂ© les siens et en retour, a Ă©tĂ© abandonnĂ© dâeux et en souffre ; mais il rĂ©alise, contre toute attente, que cette absence dâamour fit toujours plus souffrir les autres que [lui] »46. JâĂ©tais restĂ© lĂ , seul, abandonnĂ©, toutes ces sortes de choses », dit Louis au dĂ©but du Pays lointain47. Cette dimension de lâabandon est trĂšs prĂ©sente dans le Journal vidĂ©o48 de Lagarce qui, au moment de la rĂ©daction de Quelques Ă©claircies, cherche Ă gommer, effacer la figure de lâauteur pour retenir le mouvement de son seul regard posĂ© sur les ĂȘtres et les choses, dans la fugacitĂ© du temps qui passe et gĂ©nĂšre, effacement sur effacement, cet art de la vanitĂ©, mais aussi un art du dĂ©tachement mot par lequel on traduit le mot dâabandon aujourdâhui. Dans son Journal vidĂ©o, lâĆil rivĂ© Ă la camĂ©ra, jouant des surimpressions dâimages et de bandes dĂ©filantes de textes qui parlent de fin et de morts, Lagarce nous livre ce quâAnnie Ernaux nommerait un Journal du dehors »49. Le dĂ©placement gĂ©ographique vers Berlin permet une reconsidĂ©ration de la vocation personnelle Ă©crire contre la peur et une mise en perspective du sentiment dâabandon, quâil traque des deux cĂŽtĂ©s de la ville, Ă lâEst, dans les files de gens qui reviennent Ă pied, depuis lâautre cĂŽtĂ© du mur, avec des sacs Ă commissions remplis, comme Ă lâOuest, dans les terrains vagues liĂ©s Ă la destruction du mur. 50 Jean-Luc Lagarce, Journal, 1977-1990, tome i, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2007, p. 533. Seconde longue balade, hier, dans les terrains vagues de Kreuzberg, malheureusement sans camĂ©ra et jây retournerai, et au marchĂ© polonais. Le choc le plus grand, câest celui-lĂ film de Wenders50. 51 Ibid., p. 291. 24Ce quâil tente aussi de saisir, par lâĂ©criture, par lâimage, câest le regard de surplomb de lâange DerriĂšre chacun de nous, au milieu de nous, se promĂšnent des anges qui Ă©coutent nos pensĂ©es, nous posent parfois la main sur lâĂ©paule pour nous apaiser et que seuls les enfants peuvent voir51 ». 52 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 79. 25Lâabandon est un Ă©tat de conscience paradoxal une tentative de conciliation des contraires. Câest comme la nuit en pleine journĂ©e »52, dit Louis au dĂ©but de lâIntermĂšde. Lâabandon est ce qui caractĂ©rise le contexte de lâIntermĂšde, qui vise Ă produire un dĂ©placement, dans lâespace et dans le temps, mais surtout dans la conscience du spectateur. Câest Antoine qui dĂ©crit le contexte des deux piĂšces, un contexte qui ramĂšne aux conditions symboliques dâun Ă©tat de conscience quasiment intenable pour lâĂȘtre humain, Ă savoir le lieu de la coĂŻncidence des contraires la nuit lumineuse. Câest ce contexte symbolique que Xavier Dolan a tentĂ© de suggĂ©rer de maniĂšre rĂ©aliste dans son film, par le travail des lumiĂšres et des contre-jours, et par la trouvaille de cette idĂ©e dâune chaleur caniculaire. 53 Jean-Luc Lagarce, Le Pays lointain, PrĂ©sentation », Europe, op. cit., p. 159. 54 Jean-Luc Lagarce, Dire ce refus de lâinquiĂ©tude », dans Connaissez-vous Jean-Luc Lagarce ?, p. 2 ... 55 Ce concept a Ă©tĂ© forgĂ© par MaĂźtre Eckhart, et signifie, comme lâexpliquent ses traducteurs, lâat ... 26Lâabandon est aussi un choix, un acte de volontĂ© le choix de la non-violence, portĂ© jusque dans la peur, jusque dans la souffrance-mĂȘme. Cette volontĂ© paradoxale, Lagarce la mentionne dans le synopsis du Pays lointain, oĂč il affirme vouloir raconter la violence, comme Ă©trangĂšre53 », la mettre Ă distance par lâĂ©criture. Câest pourquoi dire ce refus de lâinquiĂ©tude » jusque dans lâinquiĂ©tude-mĂȘme, est son premier engagement54 », comme il le formule de maniĂšre paradoxale ce refus de lâinquiĂ©tude nâest autre quâune recherche du dĂ©tachement, de lâindiffĂ©rence positive, de la Gelassenheit55 qui est aussi la dĂ©finition dâune libertĂ© sans protocoles diffĂ©rente du libre-arbitre, câest la libertĂ© du libĂ©rĂ© dans la vie » qui ne possĂšde rien et nâest possĂ©dĂ© par rien. Il est certain que le succĂšs des piĂšces de Lagarce et de Juste la fin du monde vient de ce quâelles nous rattachent au fonds anthropologique de lâhumanitĂ©. Aussi la figure de Louis, comme les autres figures dâĂ©crivains de ses piĂšces, est-elle moins une figure dâabandonnĂ© quâune figure de dĂ©possĂ©dĂ©. Câest ce qui fait que lâĂ©criture de Juste la fin du monde a sans doute Ă©tĂ© nourrie par des souvenirs de cinĂ©ma, et sâapparente Ă des Ćuvres telles que Le Sacrifice de Tarkovski, film qui a bouleversĂ© Lagarce au moment de sa sortie, parce quâil parle de la fin du monde, mais dâune fin du monde au sens dâune apocalypse, au sens Ă©tymologique de renversement des apparences, de rĂ©vĂ©lation de rĂ©alitĂ©s cachĂ©es. Un film testamentaire 1986 puisque le cinĂ©aste est mort quelques mois aprĂšs. 56 Jean-Luc Lagarce, Journal, 1977-1990, tome i, op. cit., p. 211. 57 Ibid., p. 240. Câest magnifique, Câest magnifique et les images restent dans ma tĂȘte. Ăprouvant aussi. Les acteurs sont excellents la comĂ©dienne qui joue la femme de Josephson notamment. Câest cela par-dessus tout que jâaimerais pouvoir Tarkovski est mort. Je nâai vu quâun film sur les huit quâil a tournĂ©s, Le Sacrifice, mais ce fut essentiel, je crois. Sa maniĂšre de filmer, de raconter, de nous parler de Dieu, de notre croyance ou de notre refus de croire. Sans exagĂ©rer, câest un des films qui me marquĂšrent le plus et qui me firent voir les choses â le cinĂ©ma â diffĂ©remment57. 58 Voir Paul RicĆur, Temps et rĂ©cit, Paris, Seuil, 1985. Lâauteur oppose deux modes de lâidentitĂ© l ... 27Ă la fin du Sacrifice, Alexandre, le protagoniste principal, brĂ»le sa maison, acte symbolique de dĂ©pouillement, dâabandon. De mĂȘme, Ă la fin de ThĂ©orĂšme de Pasolini, le pĂšre traverse sa propre usine en se dĂ©pouillant peu Ă peu de ses vĂȘtements, dans une ultime et symbolique marche au dĂ©sert. Ces deux scĂšnes finales, trĂšs fortes, qui marquent lâentrĂ©e des personnages dans la vie spirituelle montrent lâabandon comme un acte, une forme dâengagement paradoxal. Celui qui se sent abandonnĂ© pratique Ă son tour lâabandon, Ă savoir quâil abandonne les prĂ©rogatives de son Ă©go, les qualitĂ©s », mais aussi, au sens oĂč lâentend Paul RicĆur, ses propriĂ©tĂ©s »58, ou encore, au sens oĂč lâentend Kafka â dont Lagarce Ă©tait grand lecteur â , ses possessions » Besitz ». Celui qui nâa plus rien en propre entre dans la condition spirituelle car sa perception du monde est dĂ©barrassĂ©e des discours et des reprĂ©sentations qui lui obstruent la rĂ©alitĂ© ; la dĂ©marche de lâabandon est une dĂ©marche paradoxalement constructive et critique elle consiste Ă apprendre Ă dĂ©sapprendre. Portant ce regard Ă partir de la contemplation de la mort, qui est la condition humaine fondamentale, Lagarce, refusant dâune certaine mesure le divertissement pascalien, invite Ă regarder la vie Ă partir de la mort, Ă se concentrer sur cette condition physique et mĂ©taphysique fondamentale. Ce qui est troublant dans Le Pays lointain, câest cette rĂ©plique dâAntoine racontant Ă son pĂšre quâil fait toujours le mĂȘme rĂȘve, quâil ramĂšne Ă sa colĂšre contre lui, une colĂšre sacrĂ©e, la colĂšre de lâinsanitas paulinienne 59 Jean-Luc Lagarce, Le Pays lointain, op. cit., p. 389. le mĂȘme rĂȘve, semblable, oĂč je songe Ă tout dĂ©truire de ce qui mâappartient, juste cela, ce qui mâappartient, le rĂ©duire en cendres, les affaires qui sont les miennes, les objets, les choses que jâai achetĂ©es pour ma femme, pour moi et pour ma femme et pour mes enfants, nâen plus rien garder59. 28Il aimerait se vider de sa colĂšre contre son frĂšre, se dĂ©livrer de cette colĂšre, et pour ce faire, abandonner ses possessions â au sens oĂč lâentend Kafka dans le chapitre 8 du ChĂąteau oĂč K., le protagoniste, dĂ©couvre une libertĂ© sans protocoles, celle du libĂ©rĂ© dans la vie, qui ne possĂšde rien et qui nâest possĂ©dĂ© par rien. 60 Franz Kafka, Le ChĂąteau, traduction Alexandre Vialatte, Paris, Gallimard, Folio, 2007, p. 157. Voi ... MalgrĂ© tout ce qui sâĂ©tait passĂ©, il Ă©prouvait le sentiment que ce quâil avait obtenu jusquâici constituait une sorte de possession quâil ne conservait sans doute quâen apparence mais quâil ne devait pas abandonner sur lâordre de nâimporte qui60. 29Cette pratique de lâabandon ne doit pas se faire sur lâordre de nâimporte qui ». Ainsi, quand la mĂšre annonce Ă Louis que son frĂšre attend de lui quâil le libĂšre, quâil lâautorise Ă ĂȘtre libre, câest bien de lâabandon comme engagement personnel quâil sâagit, et le rapprochement avec le texte de Kafka est pour le moins bouleversant personne nâa portĂ© son attention sur le double langage de Lagarce, et pourtant, ce souci de prĂ©cision qui est le sien dans lâusage des mots, que leur sens Ă la fois philologique et philosophique prĂ©cĂšde, aurait pu nous avertir. 61 Jean-Luc Lagarce, Atteindre le centre », Europe, op. cit., p. 147. Je viens du livre. Je viens de lâanalyse du texte [âŠ]. Mon propos nâest pas fait dâeau tiĂšde. Jâai Ă©tudiĂ© la sĂ©miologie, la linguistique, la philosophie. Je viens de la valeur du texte. Je mâintĂ©resse Ă la signification du signe et du code61. 62 Voir Pour un vocabulaire mystique au xviie siĂšcle. Textes du sĂ©minaire du Professeur Carlo Ossola ... 30Ce qui est certain, câest que le lexique de Lagarce tĂ©moigne dâune recherche sur la sĂ©mantique des mots, qui amĂšne une rĂ©surgence de sens anciens â spirituels â dont les dictionnaires indiquaient quâils Ă©taient tombĂ©s en dĂ©suĂ©tude, recouverts sous des acceptions juridiques ou autres â câest le cas notamment du mot abandon »62. Ainsi, lâobsession de lâautocorrection lexicale cache peut-ĂȘtre une autre ambition, quasiment archĂ©ologique, qui joue avec les strates du sens, et tente de remettre au goĂ»t du jour un lexique oubliĂ©, propre Ă dĂ©crire la vie intĂ©rieure. 63 Peter Handke, Outrage au public, Paris, LâArche, 1966, p. 32. 31De Juste la fin du monde au Pays lointain, les perspectives se sont dĂ©placĂ©es. Le jeu des réécritures a effectuĂ© un dĂ©placement du temps vers lâespace dans le choix des titres la notion de limitation temporelle fin du monde » a Ă©tĂ© remplacĂ©e par celle dâillimitation spatiale lointain ». Câest toujours une extrĂ©mitĂ© qui est dĂ©signĂ©e, mais, comme le rappelle Carlo Ossola, la littĂ©rature dĂ©ploie le temps humain comme un espace ». La réécriture de Juste la fin du monde en Le Pays lointain est une maniĂšre de rĂ©introduire de lâexplicite au sein du vaste systĂšme de lâimplicite qui caractĂ©rise les piĂšces de Lagarce, en affirmant lâimportance du théùtre comme un monde venant supplanter le huis-clos familial, comme en tĂ©moigne le joyeux travail de rĂ©pĂ©tition exposĂ© dans Le Pays lointain, qui est une réécriture de lâespace de Juste la fin du monde aux dimensions dâun plateau de théùtre, oĂč rien nâest Ă sa place. La scĂšne nâest pas un monde, pas plus que le monde nâest une scĂšne », Ă©crivait Peter Handke63. Mais lĂ oĂč le théùtre joue sur le mĂ©talangage, la chute du 4e mur et la mĂ©tathéùtralitĂ©, le cinĂ©ma de Xavier Dolan prend pour sujet les visages, tord les corps et rĂ©vĂšle au plus prĂšs la dynamique paradoxale de la perte qui sous-tend la dramaturgie et le lexique de Lagarce. 32Dans Le Pays lointain, le refus du tragique va de pair avec lâaffirmation des valeurs telles que celles dâabandon, qui offrent une alternative au sacrifice rituel en faisant du personnage le lieu de la rĂ©conciliation des contraires, de mĂȘme que la piĂšce insĂšre le drame du langage drame familial Ă lâintĂ©rieur du Trauerspiel, ou rĂ©cit de vie collectif dâun mort qui Ă©tait un homme ordinaire, un homme sans qualitĂ©s. LâĂ©criture est donc bien, chez Lagarce, non seulement un processus qui se dĂ©roule, qui se dĂ©crit sous nos yeux, mais aussi un exercice de dĂ©tachement, qui fait de lâĂ©criture le thĂšme de ses piĂšces lâĂ©criture comme mythologie est constitutive dâune dramaturgie. 33La perte est ce qui dĂ©finit lâespace de lâĂ©criture, mais aussi le systĂšme des relations entre les personnages Ă travers le protagoniste Ă©crivain, enfin, le regard portĂ© sur le monde par lâĂ©criture. Elle est donc au croisement des perspectives linguistique, dramaturgique et anthropologique, par la recherche dĂ©sespĂ©rĂ©e du mot juste, de la relation juste, du regard juste. Autant de mises en Ćuvre dâune quĂȘte qui a absorbĂ©, voire sans doute dĂ©passĂ© â dĂ©possĂ©dĂ© ? â son auteur lâĂ©criture comme exercice spirituel de dĂ©tachement, comme Ă©pochĂš ». En mĂȘme temps, cette Ćuvre expose une maniĂšre dâĂȘtre au monde qui rĂ©fute les discours dâautoritĂ© et de pouvoir au nom des valeurs nĂ©gatives dâimpouvoir, dâinvolontĂ©, de passivitĂ©, dâabandon, propres Ă aider son auteur Ă faire face Ă ce quâil vivait, ce qui rattache son Ćuvre Ă un fonds anthropologique de lâhumanitĂ©. En effet, le parcours sĂ©mantique Ă travers les trois paradigmes lagarciens dâimpuissance, de sacrifice, dâabandon nous font passer du lexique de la crĂ©ation littĂ©raire Ă celui de lâanthropologie pour dĂ©boucher sur la langue de la vie intĂ©rieure, qui est notre legs commun et que Lagarce tente de revivifier, invitant le spectateur Ă un retour sur soi. Haut de page Notes 1 Lydie Parisse, Lagarce, Un théùtre entre prĂ©sence et absence, Classiques Garnier, 2014. Voir le compte rendu de BĂ©atrice Jongy-Guena sur le site Fabula. 2 MâintĂ©ressant aux dramaturgies de la parole, je mĂšne ce type dâapproches Ă propos de lâĂ©criture de Beckett, de Novarina. Voir Lydie Parisse, La Parole trouĂ©e. Beckett, Tardieu, Novarina, Lettres Modernes, Minard, 2008. Rééd. Classiques Garnier. 3 Dans mon ouvrage, je replace dâailleurs cette attitude dans la perspective plus vaste de la crise du langage telle que lâa analysĂ©e le linguiste Georges Steiner, se situant dans la tradition de la philosophie des langues. Voir mon analyse dans Lagarce. Un théùtre entre prĂ©sence et absence, op. cit., p. 19-68. Voir aussi mon article paru dans un ouvrage Ă destination des agrĂ©gatifs Jean-Luc Lagarce. Une dramaturgie de la parole âtrouĂ©eâ. La langue en dĂ©faut, le rĂ©el en dĂ©faut. RĂ©flexions sur Derniers remords avant lâoubli », BĂ©atrice Jongy dir., Les Petites TragĂ©dies de Jean-Luc Lagarce, Dijon, Ăditions du Murmure, 2011, p. 47-76. 4 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, Besançon, Les Solitaires intempestifs, Classiques contemporains », 2012, p. 67. 5 RenĂ© Girard, Le Bouc Ă©missaire, Paris, Grasset & Fasquelle, 1982. 6 Voir Lydie Parisse, Lagarce. Un théùtre entre prĂ©sence et absence, op. cit., p. 116-120. 7 Jean-Luc Lagarce, Du Luxe et de lâimpuissance, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2008, p. 40. 8 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 28. 9 Jean-Luc Lagarce, Le Pays lointain, in Théùtre complet, tome iv, p. 340. 10 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 58 et Le Pays lointain, op. cit., p. 385. 11 Patrice Pavis, Le Théùtre contemporain. Analyse de textes de Sarraute Ă Vinaver, Paris, Nathan, UniversitĂ©, Lettres Sup, 2002, p. 188. 12 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 24 et Le Pays lointain, op. cit., p. 304. 13 JoĂ«l Jouanneau, dans Bertrand Chauvet et Ăric DuchĂątel dir., Juste la fin du monde. Nous les hĂ©ros, ScĂ©rĂ©n-cndp, BaccalaurĂ©at théùtre », 2007, p. 49. 14 Jean-Pierre Sarrazac, De la parabole du fils prodigue au drame-de-la-vie », Jean-Luc Lagarce dans le mouvement dramatique, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2008, p. 271-297. 15 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 68. 16 Ibid., p. 38. 17 Ibid., p. 72. 18 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 37 et Le Pays lointain, op. cit., p. 358. 19 Jean-Luc Lagarce, Histoire dâamour repĂ©rages, in Théùtre complet, tome ii, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2014, p. 145. 20 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 74. 21 Jean-Luc Lagarce, Journal, 1990-1995, tome ii, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2008, Cette impression, vous savez, quand on vous fait des compliments, quâon parle devant vous ; comme si vous Ă©tiez mort ». 22 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 70. 23 Jean-Luc Lagarce, Journal, 1977-1990, tome i, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2007, p. 376. 24 Jean-Luc Lagarce, JâĂ©tais dans ma maison et jâattendais que la pluie vienne, in Théùtre complet, tome iv, p. 258. 25 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 30. 26 Jean-Luc Lagarce, Le Pays lointain, op. cit., p. 405. 27 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 26. 28 Jean-Luc Lagarce, Le Pays lointain, op. cit., p. 364. 29 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 78. 30 Ibid., p. 76. 31 Denis GuĂnoun, HomosexualitĂ© transcendantale », dans Regards lointains, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2007, p. 31. 32 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 92. 33 CitĂ© par Marie-HĂ©lĂšne Boblet, Ăcriture et souci de soi », Jean-Luc Lagarce, Europe, n° 969-970, janvier-fĂ©vrier 2010, p. 41. 34 Suzanne parle dâ une certaine forme dâadmiration » Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 37 et Le Pays lointain, op. cit., p. 359 quâils ressentent Ă son Ă©gard. Plus quâintimidĂ©e, Catherine est troublĂ©e », comme le fait remarquer Antoine Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 31 et Le Pays lointain, op. cit., p. 348. 35 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 58-59. 36 Ibid., p. 93. 37 Jean-Luc Lagarce, Je ferai ça quand je reviendrai », dans Connaissez-vous Jean-Luc Lagarce ?, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2008, p. 22. 38 Jean-Pierre Sarrazac, De la parabole du fils prodigue au drame-de-la-vie », dans Jean-Luc Lagarce dans le mouvement dramatique, op .cit., p. 277. 39 Jean-Luc Lagarce, Le Pays lointain, op. cit., p. 355. 40 Peter Handke, citĂ© par Georges Banu dans Peter Handke le théùtre de la langue », SupplĂ©ment TĂ©lĂ©rama n°3312, festival dâAvignon 2013, juillet 2013, p. 17. 41 Robert Musil, LâHomme sans qualitĂ©s, traduction Philippe Jaccottet, Paris, Gallimard, Folio, 1958. 42 Jean-Luc Lagarce, Le Pays lointain. PrĂ©sentation », dans Europe, op. cit., p. 158 et repris dans Le Pays lointain, op. cit., p. 281. 43 Voir Jean-Pierre Sarrazac, De la parabole du fils prodigue au drame-de-la-vie », dans Jean-Luc Lagarce dans le mouvement dramatique, op. cit., p. 271-297. 44 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 23. 45 Jacques Le Brun, Le Pur amour de Platon Ă Lacan, Paris, Seuil, 2002, p. 44. 46 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 51. 47 Jean-Luc Lagarce, Le Pays lointain, op. cit., p. 277. 48 Jean-Luc Lagarce, Journal vidĂ©o, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2007. 49 Annie Ernaux, Journal du dehors, nrf, Gallimard, 1993. 50 Jean-Luc Lagarce, Journal, 1977-1990, tome i, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2007, p. 533. 51 Ibid., p. 291. 52 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, op. cit., p. 79. 53 Jean-Luc Lagarce, Le Pays lointain, PrĂ©sentation », Europe, op. cit., p. 159. 54 Jean-Luc Lagarce, Dire ce refus de lâinquiĂ©tude », dans Connaissez-vous Jean-Luc Lagarce ?, p. 21. 55 Ce concept a Ă©tĂ© forgĂ© par MaĂźtre Eckhart, et signifie, comme lâexpliquent ses traducteurs, lâattitude de qui, sans rien ajouter aux choses, les âlaisse ĂȘtreâ selon leur vĂ©ritĂ©, dans le dynamisme de leur origine. Câest sans doute la forme derniĂšre dâune libertĂ© qui se refuse Ă toute manipulation ou recrĂ©ation dĂ©miurgique. Gwendoline Jarczyk et Pierre-Jean LabarriĂre, prĂ©face Ă MaĂźtre Eckhart, Du DĂ©tachement et autres textes, Paris, Payot, Rivages poche / Petite BibliothĂšque », 1995, p. 23. 56 Jean-Luc Lagarce, Journal, 1977-1990, tome i, op. cit., p. 211. 57 Ibid., p. 240. 58 Voir Paul RicĆur, Temps et rĂ©cit, Paris, Seuil, 1985. Lâauteur oppose deux modes de lâidentitĂ© la mĂȘmetĂ© » lâidentitĂ© en tant que propriĂ©tĂ©s », ou rĂŽles et lâ ipsĂ©itĂ© » lâidentitĂ© en tant que singularitĂ©. 59 Jean-Luc Lagarce, Le Pays lointain, op. cit., p. 389. 60 Franz Kafka, Le ChĂąteau, traduction Alexandre Vialatte, Paris, Gallimard, Folio, 2007, p. 157. Voir le dĂ©tail de mon analyse dans Lagarce. Un théùtre entre prĂ©sence et absence, p. 151. 61 Jean-Luc Lagarce, Atteindre le centre », Europe, op. cit., p. 147. 62 Voir Pour un vocabulaire mystique au xviie siĂšcle. Textes du sĂ©minaire du Professeur Carlo Ossola au CollĂšge de France, textes prĂ©sentĂ©s par François TrĂ©moliĂšres, Turin, Nino Argento Editore, Europa restituta » CollĂšge de France, 2004. 63 Peter Handke, Outrage au public, Paris, LâArche, 1966, p. de page Pour citer cet article RĂ©fĂ©rence papier Lydie Parisse, Juste la fin du monde Processus dâĂ©criture et nĂ©gativitĂ© », SkĂ©n&graphie, 5 2018, 81-97. RĂ©fĂ©rence Ă©lectronique Lydie Parisse, Juste la fin du monde Processus dâĂ©criture et nĂ©gativitĂ© », SkĂ©n&graphie [En ligne], 5 2018, mis en ligne le 01 janvier 2019, consultĂ© le 26 aoĂ»t 2022. URL ; DOI de page
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